La société d'horticulture de Coutances au XIXe siècle

 

 

Les amoureux de Pomone

La Société d'horticulture de Coutances fut fondée le 13 octobre 1857, elle avait pour but de réunir et d'aider les amateurs de jardins du Coutançais. Les statuts de la Société assuraient que celle-ci se devait avant tout « d'encourager la production et le perfectionne­ment des planches maraîchères aussi bien que des fruits et des fleurs »... en résumé, tout ce qui peut se rattacher à l'horticulture par son utilité ou par son agrément. On espérait ainsi « favoriser l'introduction d'espèces nouvelles »... On favoriserait par des récompenses le zèle « de tous ceux qui se livreraient à des travaux intéressant l'horticulture ». Le premier président se nommait M. Neveud, il était conservateur des hypothèques de Coutances. Les promesses précitées furent te­nues... et très vite des médailles vinrent récompenser les amateurs méritants, pour leur amour de Pomone... En 1875, vingt-huit ans après sa création, la Société comptait 240 membres titulai­res parmi lesquels on comptait bien sûr des jardiniers professionnels et des horticulteurs de métier, mais aussi des médecins et des instituteurs, des négo­ciants et des percepteurs, des juges de paix, mais aussi des ecclésiastiques et des religieuses, dont « mesdames les Augustines de Coutances ». Les retrai­tés étaient nombreux, ainsi que quel­ques propriétaires « vivant de leur revenu », la stabilité du franc autorisait cette catégorie de citoyens aujourd'hui disparue. Il faut encore compter au nombre des sociétaires, l'adjudant gé­néral de la Milice de Jersey. Devant le succès des activités de l'association, les responsables louèrent un jardin à Coutances, auquel était attaché un jardinier, et, qui était ouvertau public le lundi et le jeudi de chaque semaine. On distribua des graines et des plants aux sociétaires.

 

 

Expositions et récompenses

Les séances de la Sociétéétaient résumées dans un bulletin, qui était imprimé chez Salettes à Coutances. Très vite on organisa des expositions qui eurent beaucoup de succès. Celle de 1875 laissa dans les mémoires un impérissable souvenir, un chroniqueur de l'époque René Le Parquier affirmait même que « dans les grandes exposi­tions de Versailles et de Paris il serait difficile de trouver plus de fraîcheur, dedélicatesse et d'éclat... » Il ajoutait que « La ville de Coutances a le droit, grâce à cette exposition d'être l'égale des villes les plus importantes de pro­vince... ». Le même René Le Parquier demandait enfin à tous « d'aider l'horti­culture, non seulement à cause des intérêts matériels qui se rattachent à cette branche de l'industrie humaine, mais encore, et surtout parce qu'elle exerce sur les esprits une influence salutaire et moralisatrice ». Malgré la qualité des présentations on ne donna cette année-là aucune mé­daille d'or ; mais une médaille de vermeil récompensa un ensemble de légumes « très satisfaisant », alors que le sacristain de l'église Saint-Pierre qui présentait des corbeilles de poires variées, fut récompensé par l'obtention d'une médaille d'argent « de deuxième module ». On exposa aussi de l'outillage local, et c'est un « industriel » coutan­çais qui obtint le premier prix pour un ensemble « très satisfaisant » de bêches et de fourches. Comme aux précéden­tes expositions, le public nombreux manifesta sa satisfaction.

 

 

Visites des jardins

 

On visitait aussi les jardins d'amateurs, et les jardins publics, et là encore, le jury attribuait des récompenses aux plus beaux parterres ou aux plus remarquables légumiers. On visita les serres du jardin des plantes de Coutan­ces, et on admira fort la mosaïque qui décorait le centre du jardin « en dessin pur de 5 mètres de diamètre, compo­sée de 5 000 variétés de plants di­vers ». Un autre jardin, celui de l'École normale (depuis peu inaugurée), fut visité aussi par les membres du bureau de l'Association, qui furent étonnés par la somme de travail fourni par M. Pacary, le jardinier qui cultivait à lui seul 50 ares plantés de 50 pommiers en espalier, de 200 pommiers en cordon et 60 autres arbres fruitiers à haute tige « en pleine vigueur ». C'est à se deman­der, disait le rapporteur de cette visite, « comment un seul homme peut arriver à un pareil résultat ». Les jardins particuliers ne furent pas oubliés, et leurs propriétaires furent récompensés justement.

 

 

Les écoliers et les jardins

 

Parmi les lauréats des concours organi­sés par la Société, on trouvait souvent des instituteurs, c'est pourquoi les membres du jury profitèrent de cette vocation horticole pour encouragerl'art des jardins auprès des écoliers du Coutançais, en 1894 on conviait les instituteurs de l'arrondissement avec l'agrément de l'inspecteur d'Académie, à enseigner aux élèves des notions d'horticulture, en promettant qu'on sau­rait récompenser les premiers efforts tentés. Aussi à l'exposition coutançaise de 1895, neuf cantons de l'arrondisse­ment prenaient part à un grand concours et 244 élèves planchaient sur la « technique des fruits, fleurs et légumes ».

 

C'est un élève de Savigny qui obtint le premier prix, suivi par un jeune coutan­çais Victor Turgis. Le maître de ce dernier, M. Menard, reçut pour la qualité de son enseignement horticole, une médaille de bronze. Les écoles deLessay, Créances, Roncey, Savigny, Vesly, etc. avaient elles aussi participé à ce concours. Le programme était copieux, puisqu'en effet il fallait pouvoir répondre à 24 questions sur l'arboricul­ture, 15 sur la maraîcherie et 8 sur la floriculture !

 

 

La disparition d'un des fondateurs

 

Les expositions succédaient aux expo­sitions ; le temps « quelquefois maus­sade », n'arrêtait même pas les amateurs. En 1899, « malgré la sécheresse désespérante » qui aurait dûêtre fatale aux produits maraîchers, les jardiniers garnirent complètement le bas-côté sud de la halle aux grains (lieu des expositions depuis leur création). Le jardinier du Grand Séminaire présentait cette année-là, malgré les circonstan­ces défavorables, un lot de 15 variétés de betteraves, et de 35 espèces de laitues qui lui valurent une médaille. Un horloger de Coutances avait orné la grand nef de la halle d'une horloge gigantesque qui « toute garnie de fleurs, marquait la marche rapide du temps ». Ce temps inexorable qui avait marqué de son sceau le vénéré président de la Société, lequel, très souffrant, était venu procéder une fois encore à l'inauguration de l'exposition, il était président depuis 1881 et membre fondateur depuis 1864 ; il devait mourir en 1900 quelques mois après. Avec lui et la fin du 19e siècle, une page de l'histoire de cette toujours vivante association coutançaise était tournée.

 

 

R. LE TEXIER

in Cosedia n° 23, mars 1981